Une mentalité en décalage

A l’heure où j’écris, Neature est encore une petite structure qui n’a pas grand-chose d’une vraie start-up. Les fondateurs de l’entreprise ont fait le choix d’éviter autant que possible l’écosystème entrepreneurial dans un premier temps. Si nous sommes convaincus de l’intérêt d’échanger et de s’instruire au sein de cet éco-système, je crains que nos perspectives de développement soient à contre-courant de la mentalité dominante actuelle.

Neature se trouve sur le marché du Pest Control qui s’avère être fragmenté et à haute rentabilité. Le développement rapide d’une entreprise dans le secteur du contrôle des espèces nuisibles dépend de la capacité de l’entreprise à capter des contrats d’intervention et à les réaliser. Si la signature de contrats requiert une compétence commerciale (voire une compétence en marketing) la réalisation des interventions, bien que réglementée, est avant tout une question d’expérience, de savoir-faire et parfois de débrouillardise. Le travail de terrain nécessite un sens pratique, une connaissance des espèces traitées et un esprit d’analyse poussé pour délivrer un service de qualité. Mais la simple réalisation du service, sans se soucier de qualité, n’implique pas de profil ou de diplôme spécifique. N’importe qui peut fabriquer une baguette de pain après une courte formation. Mais faire du bon pain est une autre paire de manches.

Dans ces conditions, n’importe quelle personne un tant soit peu avisée de l’écosystème start-up nous conseillerait d’ubériser le métier. Construire un service commercial performant, monter un process de recrutement et de gestion des ressources humaines flexible nous permettant d’exploiter le temps libre de pauvres hères de manière automatisée afin de délivrer notre service partout en France dans les 3 ans. Au regard de la situation économique actuelle, c’est ce qui fait le plus sens. Et c’est facile. Peut-être suis-je prétentieux, mais j’ai l’intime conviction qu’avec un peu de persévérance et des tableaux de projection financière bien ficelés, nous pourrions en quelques mois regrouper un ensemble de financeurs prêts à nous aider à conquérir la France.

Une opportunité énorme nous tend les bras. Entrer dans la course au développement exponentiel et monter une gigantesque structure à l’échelle nationale en peu de temps. Mais à quel prix ?

Défier toute logique

Je suis un grand bavard. J’aime discuter avec les chauffeurs et les coursiers travaillant pour les entreprises qui rythment notre quotidien. Si certains sont emplis d’un courage indicible et parviennent à garder un sourire mystérieux et un goût du travail, beaucoup d’entre eux sont amers, certains sont même conduits par l’énergie du désespoir. D’aucuns voient dans la précarité une manière de trouver plus facilement du travail, d’arrondir ses fins de mois. Sans être un anti-libéral, je peine néanmoins à ne pas y déchiffrer un cruel manque de sens, d’opportunités, d’horizon pour ces personnes. La perte de sens n’est évidemment pas l’apanage des entreprises uberisées mais celles-ci la poussent bien plus loin à mes yeux. Je ne sais pas si en tant qu’entrepreneur j’ai envie de contribuer à la levée de cette armée de fantômes qui ne prennent chair que lorsqu’ils ne sont pas au travail.

Au-delà de mon opinion sur la situation actuelle du marché du travail, l’ubérisation me pose un autre problème. Je considère que Neature a un rôle important à jouer dans la préservation de la biodiversité de notre pays (cf. mon précédent billet). Et ce rôle ne peut être assumé pleinement qu’en délivrant un service parfait. Je ne crois pas que le modèle d’Uber soit compatible avec l’excellence sur notre marché. Sur le marché des VTC, la qualité de service dépend de facteurs indépendants du chauffeur : le bon fonctionnement de l’application ou la qualité du véhicule par exemple. Or, en ce qui concerne le contrôle des espèces nuisibles ou invasives, la qualité de service est bien plus adossée à la compétence et à la bonne volonté du technicien. Et à mon sens, un technicien peu motivé ou/et peu compétent ne peut délivrer un service d’une qualité qui puisse nous satisfaire. Je ne vois pas nos collaborateurs comme des exterminateurs mais comme des analystes et des savants en ce qui concerne la reproduction et le comportement des espèces animales.

A contre-pied de toute logique économique, nous avons donc fait le choix de nous engouffrer dans un rêve. La dératisation ou la désinsectisation ne sont pas des fins en elles-mêmes pour nous, elles ne sont que les éléments constitutifs et essentiels d’un projet de plus grande ampleur : préserver le bien-être de nos clients ainsi que l’environnement. Neature est un pari risqué dans le contexte économique actuel. Nous misons sur un développement à tâtons centré sur la relation client, la formation de nos collaborateurs et surtout sur la recherche et développement. L’idée est d’apprendre à connaître nos clients et leurs besoins en profondeur, de former des experts capables de résoudre n’importe quel problème lié à une infestation d’espèces animales et de développer une compétence nouvelle, à cheval entre le Pest Control et les services environnementaux.

L’avenir nous dira si ce pari est payant. Soit notre entreprise sera un acteur économiquement et socialement performant de la protection de l’environnement, soit elle ne sera pas.