L’année dernière, les Américains découvraient effarés, effrayés, les « Murder Hornets » débarquer sur la côte ouest de leur continent. Ce frelon venu d’Asie, de la taille d’un briquet — environ 5 centimètres —, doit son sobriquet à la longueur de son dard imposant d’environ 6 millimètres, à sa tendance à chasser en groupe et évidemment à la terreur qu’il suscite outre-Atlantique. Son nom scientifique glorieux, Vespa Mandarinia, était pratiquement inconnu du grand public il y a encore quelques mois. A l’heure où des créatures semblant sortir tout droit de l’ère du Crétacé menacent d’envahir les pays occidentaux, je me disais qu’il était utile de faire un point sur ce qui se passe actuellement en France. Et sans vouloir non plus être alarmiste, la situation semble grave à plusieurs niveaux.

Les frelons asiatiques à la conquête de l'Ouest.

En France, nous avons la chance de ne pas (encore) être confrontés à ces monstres volants. Nous avons néanmoins affaire à son cousin, le vaguement nommé “frelon asiatique”, Vespa Velutina. Velutina, à l’instar de Mandarinia, vient de lointaines contrées asiatiques, mais sa morphologie est bien moins impressionnante : 3 centimètres tout au plus. Sa taille n’est cependant pas représentative des dégâts sanitaires, économiques et surtout écologiques qu’il cause inlassablement depuis bientôt deux décennies dans notre pays. C’est la raison pour laquelle cette espèce est devenue un sujet récurrent dans les médias. De plus, ces insectes montrent une forte capacité d’adaptation et de prolifération, facilitée par la relative absence de prédateurs et d’agents pathogènes sur leur nouveau territoire. D’après les données du Muséum National d’Histoire Naturelle, le premier nid aurait été détecté dans le Lot en 2004 et aujourd’hui, on retrouve des colonies du sud du Portugal jusqu’aux Pays-Bas, en passant par le nord de l’Angleterre et l’ouest de l’Allemagne. Aucun département français n’est épargné par ce fléau. Il est fort possible que cette espèce continue de se développer sur tout le territoire européen — le réchauffement climatique aidant. D’après les plus éminents entomologistes français, il semble qu’on ne soit plus en mesure d’éradiquer cette menace. Au mieux, on ne pourrait qu’atténuer les effets d’une catastrophe écologique en détruisant systématiquement les nids et en développant de nouvelles méthodes de lutte à base de phéromones. Malheureusement, on ne peut pas se contenter de ce constat, ni même attendre patiemment la conception de solutions élaborées, tant le danger qui nous guette est inquiétant.

"D’après les plus éminents entomologistes français, il semble qu’on ne soit plus en mesure d’éradiquer cette menace. Au mieux, on ne pourrait qu’atténuer les effets d’une catastrophe écologique..."

Des écosystèmes et des secteurs économiques en péril.

Les dangers liés à la prolifération des frelons asiatiques sont bien connus aujourd’hui. On parle souvent de leur comportement de prédation des abeilles, mais en vérité, le problème est bien plus profond. Celui-ci se décline en trois niveaux : écologique, économique et sanitaire.

Du point de vue écologique, les frelons asiatiques tendent à attaquer les abeilles domestiques de manière bien plus féroce que leurs congénères européens, mais se nourrissent également de beaucoup d’autres insectes plus petits et fragiles qu’eux, dont des pollinisateurs. Les écosystèmes reposant sur des interactions nombreuses entre les végétaux et les animaux, l’apparition d’un tel prédateur d’insectes peut causer des dégâts en cascade. Il n’est donc pas seulement question de la disparition des abeilles, mais également de la déstabilisation durable et progressive des écosystèmes français et européens. Nous pouvons à peine envisager l’ampleur des conséquences possibles de ce phénomène sur le long terme.

D’un point de vue économique, les frelons asiatiques représentent également une menace, spécifiquement pour l’agriculture. Ces insectes sont carnivores mais également frugivores : ils s’attaquent notamment aux raisins, aux pommes, aux prunes … Les nids de frelons sont moins signalés dans les zones rurales — car moins gênants pour les habitants —, et par conséquent, peuvent se développer tout le long de l’été. On peut imaginer que les grandes exploitations d’agriculture intensive sont plus ou moins protégées par leur tendance à utiliser massivement des pesticides. Par contre, les exploitations engagées dans des méthodologies bio sont bien plus exposées. Imaginez un vignoble bio dans le Bordelais : il suffirait d’une poignée de nids dans un périmètre de quelques hectares pour abîmer une grande partie des fruits et sérieusement compromettre une récolte.

Bien entendu, l’apiculture constitue l’activité la plus touchée par la prolifération des frelons asiatiques. La simple présence d’un frelon près d’une ruche perturbe fortement sa productivité. Les apiculteurs n’ont d’autre choix que de détruire les nids de frelons qu’ils parviennent à identifier dans les environs pour ne pas voir l’activité de ses ruches s’effondrer.

Enfin, d’un point de vue sanitaire, les frelons asiatiques constituent également un problème par leur agressivité plus marquée que les autres hyménoptères. Il est fortement déconseillé de s’approcher d’un nid de frelons asiatiques à moins de 5 mètres, tant à cause de leur férocité mais également de par leur nombre : en moyenne, il y aurait 5 fois plus d’individus dans un nid d’asiatiques que dans un nid d’européens. Les chiffres sont impressionnants : un nid de frelons asiatiques peut contenir jusqu’à 2000 individus. Heureusement, ces colonies se trouvent souvent en hauteur, dans les arbres, où elles sont moins dangereuses.

"Le frelon asiatique est responsable de la déstabilisation durable et progressive des écosystèmes français et européens."

Peut-on imaginer une Europe ravagée par les frelons venus d’Asie ?

Depuis quelques années, les collectivités françaises commencent à se mobiliser pour endiguer la prolifération de Vespa Velutina sur le territoire national. Au regard des chiffres qu’on peut trouver concernant l’évolution du nombre de nids dans le pays, ces mesures sont pour l’instant peu efficaces. Il semble que nous évoluions tout de même dans la bonne direction. La compétence concernant la gestion de ce problème tend à remonter vers des administrations de niveau plus élevé : dans plusieurs secteurs, les communautés de communes ont pris le relais des communes. A titre personnel, je considère que la prolifération des frelons ne pourra être sérieusement ralentie qu’à la faveur d’une concertation et d’un programme de lutte d’envergure départementale voire régionale. Neature collabore avec des communes et des communautés de communes et je peux affirmer qu’en travaillant avec une administration d’échelon supérieur, la lutte est plus efficace. Les mesures de prévention sont diffusées plus vite, les citoyens sensibilisés à l’identification des nids, la prise en charge des interventions est assurée, etc. En vérité, je suis assez convaincu qu’il n’y a pas d’autre moyen que de mutualiser autant que possible les ressources disponibles des différentes parties prenantes (collectivités, entreprises de service, chercheurs, citoyens) afin d’organiser la lutte contre Vespa Velutina. Pour être tout à fait franc, j’ai peur que nous ne soyons qu’au début de nos peines. J’ai discuté de Vespa Velutina dans ce papier, mais nous ne sommes pas à l’abri que d’autres espèces, telles que Vespa Mandarinia, n’investissent nos écosystèmes. Plusieurs espèces envahissantes ont fait parler d’elles récemment, la pyrale du buis et la chenille processionnaire notamment.

 

Il est difficile d’anticiper les conséquences écologiques, économiques ou sanitaires de la prolifération des frelons asiatiques en Europe. A long terme, selon la direction des politiques publiques, elles pourraient être maîtrisées ou dévastatrices. Il est évidemment encore plus complexe de se figurer ce que pourrait donner une invasion de Vespa Mandarinia dans notre pays (ce qui ressemblerait fort à un pitch de films d’horreur de série B). J’ai néanmoins une certitude : les entreprises du secteur du Pest Control (dératisation, désinsectisation, désinfection) portent une grande responsabilité. Le contrôle des invasions biologiques devrait être appréhendé comme une mission d’intérêt général par les acteurs du Pest Control comme par les acteurs publics. Ainsi, peut-être pourra-t-on mobiliser les ressources nécessaires et surtout mobiliser les citoyens. En observant ce que la France et les Français ont su faire pour endiguer l’épidémie de Covid-19, j’aime imaginer que, si un jour nous sommes dos au mur, nous saurons réagir pour résoudre le problème des espèces invasives. Et Neature sera prête à mener la charge.